Elias ne saurait dire combien de temps il était resté allongé dans cette position contemplative, le regard perdu dans l’entrelacs hypnotique des motifs géométriques qui parcouraient le plafond comme une carte stellaire inversée. Les lumières d’ambiance avaient imperceptiblement changé de tonalité à plusieurs reprises – d’abord un blanc froid et clinique, puis une teinte plus chaude tirant vers l’ambre, enfin un bleu nocturne apaisant. Il en déduisit que plusieurs heures s’étaient écoulées, peut-être même un cycle complet selon les standards artificiels du vaisseau. Il n’avait pas dormi, malgré les recommandations médicales. Il s’était simplement… laissé flotter dans une sorte de veille lucide, un état intermédiaire entre tension vigilante et absence méditative, comme si son esprit refusait de lâcher prise sur les derniers fragments de conscience qui lui restaient.
Le mécanisme d’ouverture de la porte de l’infirmerie s’activa dans un murmure pneumatique caractéristique. Elias redressa instinctivement la tête, ses muscles se tendant d’un coup, réveillant une douleur sourde dans son flanc gauche.
Une femme entra, seule, avec une démarche mesurée qui trahissait une autorité naturelle. Elle possédait une allure élancée, presque féline dans sa grâce contrôlée, moulée dans un uniforme d’un noir mat d’une qualité exceptionnelle. Le tissu semblait absorber la lumière plutôt que de la refléter, créant une silhouette aux contours nets qui se détachait avec précision contre le décor métallique. Des galons discrets mais nets ornaient son épaule gauche – trois barres parallèles en alliage doré qui accrochaient subtilement la lumière. Ses cheveux bruns, d’un châtain profond tirant vers l’acajou, étaient relevés en une tresse haute d’une géométrie parfaite, révélant une nuque fine et une mâchoire volontaire. Son regard, d’un gris clair presque translucide, portait une précision qui rappelait les instruments de navigation – calculateur, analytique, mais non dénué d’une intelligence chaleureuse. Elle dégageait cette autorité particulière qui ne s’impose pas par la force mais se révèle naturellement, une maîtrise acquise plutôt qu’héritée.
Elle s’arrêta au pied du lit médical et l’observa avec une intensité presque clinique, mais dépourvue de la froideur professionnelle du médecin. C’était plutôt l’évaluation minutieuse d’un stratège jaugeant les capacités d’un nouvel élément dans son équation.
— Bonjour, Elias, prononça-t-elle d’une voix claire aux inflexions légèrement rauques, comme si elle avait l’habitude de donner des ordres dans des environnements bruyants. Je suis le commandant Kaelyn Vos, seconde du croiseur Talos. Officier exécutif en charge des opérations tactiques.
Il hocha la tête, plus par réflexe social que par conviction personnelle, cherchant dans le visage de cette femme des indices sur sa propre situation.
— Vous êtes venue m’expliquer pourquoi je ne sais pas qui je suis ? demanda-t-il avec une franchise directe qui le surprit lui-même.
Elle esquissa un sourire – un pli léger et fugace aux coins de ses lèvres, comme l’ombre d’une expression plus complète retenue par la discipline. Rien de moqueur dans ce sourire, mais pas franchement chaleureux non plus. Plutôt la reconnaissance professionnelle d’un esprit qui ne se voile pas la face.
— On m’a rapporté que vous posiez déjà les bonnes questions, observa-t-elle avec une pointe d’approbation dans la voix. C’est effectivement bon signe. Cela indique que vos capacités d’analyse sont intactes malgré les… lacunes.
Elle s’approcha d’un pas mesuré, ses bottes d’officier résonnant avec un rythme régulier sur le sol composite. D’un geste fluide, elle consulta brièvement la tablette médicale laissée par le praticien, ses yeux parcourant rapidement les données affichées avec la vitesse de lecture de quelqu’un habitué à traiter de gros volumes d’informations.
— D’après les rapports détaillés de sortie de stase, votre état physiologique global est stable, déclara-t-elle en relevant les yeux vers lui. Les pertes mnésiques sont circonscrites aux souvenirs épisodiques et autobiographiques. En revanche, vos connaissances procédurales demeurent parfaitement intactes. C’est non seulement essentiel pour la suite, mais également… rassurant d’un point de vue opérationnel.
Elias fronça légèrement les sourcils, percevant dans ces derniers mots une dimension qu’elle n’explicitait pas entièrement.
— Et concernant mon identité ? Mon nom véritable ? insista-t-il, sentant que cette question contenait peut-être la clé de bien des mystères.
Kaelyn leva les yeux de la tablette, et pour la première fois, son expression se fit plus directe, presque personnelle.
— Elias est votre nom, affirma-t-elle avec une assurance tranquille mais nuancée d’une prudence professionnelle. C’est celui qui figure dans les fragments récupérables de vos dossiers cryogéniques, recoupés avec les analyses biométriques et génétiques. Nous avons pu confirmer cette identification par plusieurs canaux indépendants. Ce n’est pas un matricule temporaire qu’on vous a attribué par commodité administrative. C’est authentiquement le vôtre.
Elle le dit avec une certaine conviction… mais sans insister outre mesure, comme si cette vérité faisait partie d’un ensemble plus complexe qu’elle ne pouvait ou ne voulait pas entièrement dévoiler. Comme si elle offrait une pièce du puzzle tout en gardant la boîte fermée.
— Vous faisiez partie d’un programme de redéploiement stratégique de haute priorité, continua-t-elle en adoptant un ton plus formel, presque briefing militaire. Transfert longue portée en direction du front extérieur, secteur Epsilon. Une affectation prioritaire classe Alpha, réservée aux personnels d’exception. En raison de vos compétences très particulières.
Elle marqua une pause calculée, laissant ces informations s’installer dans l’esprit d’Elias, puis ajouta avec une intensité nouvelle :
— Vous êtes pilote, Elias. Mais pas n’importe quel pilote. Sa voix prit une inflexion respectueuse, presque admirative. D’après les rapports de mission archivés, vous aviez acquis la réputation d’être l’un des meilleurs de votre génération. Un pilote d’élite de classe exceptionnelle. Vos états de service témoignaient d’une maîtrise technique et d’une intuition tactique remarquables… avant que cette mémoire ne s’efface temporairement, du moins. Mais tout laisse penser que vos réflexes, votre instinct de vol, votre compréhension innée des systèmes de navigation, tout cela demeure ancré dans vos circuits neuronaux profonds. Il faudra simplement les réveiller, les réancrer dans votre conscience active. Et le faire rapidement.
Elias détourna le regard vers la cloison, sentant une brève sensation de pression dans le ventre, comme si quelque chose d’important se révélait et se dérobait simultanément. Une montée de vertige familier, cette sensation de reconnaissance sans souvenir qui l’accompagnait depuis son réveil.
— J’ai effectivement ces compétences techniques… mais je ne sais absolument pas d’où elles viennent, murmura-t-il, articulant ce paradoxe qui le hantait. C’est comme si j’étais habité par les connaissances de quelqu’un d’autre.
— C’est profondément frustrant, j’en conviens, reconnut Kaelyn avec une compréhension qui semblait authentique. Mais ce phénomène n’est pas si rare dans les cas de traumatisme mémoriel sélectif. L’esprit humain ne fonctionne pas comme une base de données informatique où tout est stocké de manière uniforme. Il choisit instinctivement ce qu’il retient en surface, ce qu’il enfouit dans les strates profondes, ce qu’il laisse dans l’ombre des automatismes. L’important, pour nous comme pour vous, c’est ce que vous êtes maintenant, dans l’instant présent. Ce que vous pouvez accomplir avec les outils dont vous disposez.
Kaelyn s’avança, réduisant la distance qui les séparait, et son ton se fit légèrement plus personnel, comme si elle franchissait une barrière protocolaire invisible.
— Ce que vous avez vécu n’est pas anodin, Elias. La stase prolongée, l’isolement sensoriel, la confusion traumatique au réveil… Tout cela s’inscrit dans un processus plus large. Ce n’est pas une simple défaillance technique malheureuse. C’est une étape, un passage nécessaire. Et vous n’êtes pas seul pour l’affronter. L’équipage est là pour vous soutenir. Moi aussi, personnellement.
Elias la fixa intensément, cherchant à décoder les nuances de son expression. Il y avait dans ses yeux cette franchise apparente qu’elle affichait… mais également quelque chose de soigneusement verrouillé, comme une ligne de défense qu’elle refusait de franchir, ou qu’elle n’était pas autorisée à franchir selon des directives supérieures.
— Vous croyez réellement à cette version officielle ? demanda-t-il avec une perspicacité qui le surprit lui-même. Je veux dire… à ce que je suis censé être, à cette histoire de pilote d’exception récupéré par hasard ?
Kaelyn le considéra longuement, et dans ce silence, Elias perçut une lutte intérieure, un débat entre loyauté institutionnelle et instinct humain.
— Je crois fermement en ce que vous pouvez redevenir, finit-elle par répondre, choisissant ses mots avec la précision d’un diplomate. Et ici, à bord du Talos, dans notre situation actuelle, c’est effectivement tout ce qui compte pour l’instant.
Elle fit un pas vers la sortie, signalant la fin de cet entretien, puis se ravisa comme si une dernière information importante lui revenait.
— Demain, vous commencerez la phase d’évaluation initiale au centre d’entraînement, annonça-t-elle en reprenant son ton officiel. Simulateurs de vol, familiarisation aux systèmes de commande, tests progressifs de réactivité et d’adaptation. Rien de trop intense pour débuter, naturellement. Nous procéderons par étapes graduelles.
Un dernier regard, où perçait une nuance difficile à définir – protection, mise en garde, ou simple bienveillance professionnelle.
— Reposez-vous maintenant. Vous représentez un atout stratégique considérable pour cette mission. Et on ne gaspille jamais un atout de cette valeur.
Puis elle quitta la pièce d’un pas décidé, la porte se refermant derrière elle dans un souffle pneumatique qui laissa Elias seul avec ses interrogations multipliées.
Il resta immobile, son propre prénom résonnant dans sa tête comme une énigme en boucle, chargée désormais de nouvelles dimensions inquiétantes.
Son nom – apparemment authentique. Son corps – indéniablement le sien. Ses réflexes – intacts mais mystérieux.
Mais à qui appartenait vraiment cette vie qu’on s’apprêtait à lui rendre ? Et surtout, quel prix devrait-il payer pour la récupérer ?
Idée original: David Dräyer. Aide à la rédaction: Chat GPT (structure) et Claude (descriptions)
Laisser un commentaire