Le plafond s’étendait au-dessus de lui comme une toile d’araignée mécanique, un quadrillage de métal sombre où couraient de fines artères lumineuses. La lumière blafarde pulsait avec la régularité d’un métronome cosmique, projetant des ombres qui dansaient sur les parois courbes de ce qui ressemblait à une cellule médicale. Une pulsation sourde, presque organique malgré sa nature mécanique, vibrait à travers toute la structure – le battement de cœur d’un léviathan spatial.
Il ne savait pas où il était. Il ne savait pas qui il était.
La sensation était vertigineuse, comme si son esprit flottait dans un vide sans amarres. Chaque battement de paupières lui rappelait cette absence fondamentale : pas de visage familier dans sa mémoire, pas de nom qui résonne, pas même l’écho d’une voix aimée. Rien qu’un néant cotonneux là où auraient dû se trouver des décennies de souvenirs.
Ses paupières battirent une seconde fois, et cette fois la lumière ne brûla pas ses yeux comme des lames chauffées au blanc. L’adaptation se faisait progressivement. Il sentit le poids du drap synthétique sur son torse – un tissu étrange, presque vivant, qui semblait réguler sa température corporelle. La raideur de ses membres engourdis lui rappelait ces matins d’hiver où le froid pénètre jusqu’aux os, mais en plus profond, plus alien. Une odeur complexe planait dans l’air recyclé : antiseptique pharmaceutique mêlé à l’ozone des circuits électriques, métal chauffé par les réacteurs, et quelque chose d’autre… une fragrance presque florale qui détonnait dans cet environnement stérile.
— Vous êtes réveillé, constata une voix neutre à sa droite, dénuée de toute émotion particulière mais non dépourvue d’une certaine lassitude professionnelle.
Il tourna la tête avec une lenteur prudente, chaque mouvement déclenchant de petites décharges électriques le long de sa nuque. Un homme se tenait près d’un panneau de contrôle hérissé d’écrans et de voyants clignotants. La cinquantaine avancée, peut-être plus – difficile à dire avec ces traitements de longévité qu’utilisaient les équipages des longs voyages. Il portait une combinaison médicale d’un gris sombre au col montant, presque militaire dans sa coupe stricte. Chaque pli semblait calculé, chaque couture parfaitement alignée. La fine lumière des moniteurs projetait des reflets bleuâtres sur ses lunettes à visière intégrée, transformant ses yeux en écrans opaques. Ses mains gantées, d’une précision chirurgicale, manipulaient une tablette holographique qui projetait des données biométriques en suspension lumineuse.
— Où… suis-je ? réussit-il à articuler, surpris lui-même par le son qui sortait de sa gorge.
Sa voix était rauque, rendue âpre par ce qui devait être des semaines, des mois peut-être, de silence forcé. Elle portait un accent qu’il ne reconnaissait pas, une cadence qui lui était étrangère bien qu’elle jaillisse de sa propre bouche. Comme s’il entendait parler un inconnu.
— Infirmerie médicale du croiseur lourd Talos, répondit l’homme sans lever les yeux de ses relevés. Vous avez subi une défaillance systémique durant la procédure de sortie de cryostase. Rien de définitivement préoccupant, je tiens à vous rassurer sur ce point. Vos fonctions vitales sont désormais stabilisées dans les paramètres acceptables. Il marqua une pause, ajustant ses lunettes d’un geste machinal. Amnésie rétrograde sévère, probablement transitoire selon les protocoles standard. Du moins, c’est ce que nous espérons.
L’homme s’approcha du lit, ses pas résonnant avec un écho métallique sur le sol en alliage composite. Il tendit un bras pour vérifier l’un des moniteurs suspendus au-dessus du patient, ses doigts effleurant les commandes tactiles avec la fluidité de l’habitude. L’écran afficha une cascade de données vitales : rythme cardiaque, pression artérielle, activité cérébrale, tout semblait dans les normes d’après les barres colorées qui oscillaient dans le vert.
— Je… Je ne me souviens de rien, murmura le patient, et ces mots portaient en eux un poids terrifiant. Absolument rien.
Le médecin hocha la tête avec le détachement de celui qui a déjà vu ce spectacle. Il pressa un capteur digital, déclenchant une série de bips informatiques, puis reporta son attention sur la tablette flottante où s’inscrivaient de nouveaux paramètres.
— C’est un phénomène classique, malheureusement, expliqua-t-il d’un ton professoral teinté d’une pointe de compassion calculée. Les cas d’amnésie post-cryogénique sont statistiquement rares – environ trois pour cent des réveils – mais suffisamment documentés pour que nous ayons des protocoles établis. Votre matrice mémorielle s’est probablement fragmentée au moment critique de la réactivation neurologique. Les connexions synaptiques se reformeront graduellement. Il marqua une nouvelle pause, semblant peser ses mots. Elle reviendra, votre mémoire. En partie, du moins. Ce genre de reconstruction cognitive prend du temps. Parfois des semaines, parfois des mois. Rarement des années, mais cela s’est vu.
Le patient tenta de se redresser. Une douleur sourde, comme un fer chauffé au rouge, lui traversa le flanc gauche, arrachant un grognement étouffé. Le médecin posa immédiatement une main ferme mais pas brutale sur son épaule, le forçant à retomber contre les oreillers ergonomiques.
— Du calme. Reposez-vous, ordonna-t-il avec l’autorité tranquille de celui qui a l’habitude d’être obéi. Vos fibres musculaires sont encore en phase de réadaptation post-cryogénique. Les tissus ont besoin de temps pour retrouver leur élasticité normale. J’ai scanné vos implants neuronaux – ils ont survécu au processus, ce qui est déjà une excellente nouvelle – mais je ne vous recommande absolument pas de forcer la récupération. La patience sera votre meilleur allié.
Il se rallongea lentement, chaque mouvement lui coûtant un effort disproportionné. Une sueur froide perlait à ses tempes, glissant le long de ses joues avec la consistency visqueuse de la peur. Son bras droit était enveloppé dans des bandes de tissu biomédical au niveau de l’avant-bras, et un angle du bandage, légèrement défait, laissait entrevoir un fragment de peau marquée : un tatouage aux lignes nettes représentant un oiseau noir stylisé, ailes déployées dans un vol éternel, encerclé de caractères qu’il ne parvenait pas à déchiffrer. L’encre semblait encore fraîche malgré ce qui devait être des années d’existence. Pourtant… quelque chose dans ces formes géométriques, dans cette symbolique ailée, éveillait un écho lointain dans les profondeurs de son esprit amputé.
— Ce tatouage… murmura-t-il, portant inconsciemment sa main libre vers le bandage comme pour toucher cette trace mystérieuse de son passé effacé.
Le médecin releva brièvement les yeux de sa tablette, suivant le regard du patient vers le membre bandé.
— Il était déjà présent quand notre équipe de récupération vous a trouvé, expliqua-t-il avec l’indifférence clinique du praticien qui a tout vu. Sans doute un vestige de votre existence antérieure. Une tradition culturelle peut-être, propre à votre secteur d’origine. Beaucoup de colonies spatiales ont développé leurs propres codes symboliques. Il haussa les épaules avec un détachement étudié. Rien d’important sur le plan médical, en tout cas.
Il nota quelque chose sur sa tablette, ses doigts pianotant avec une précision mécanique sur l’interface holographique.
— Autre problème : vous n’avez pas encore de nom officiel, poursuivit-il sans transition, comme s’il énumérait les symptômes d’une maladie bénigne. Votre identification cryogénique originale a été altérée, probablement corrompue durant votre… récupération. Les circuits de mémoire étaient partiellement grillés quand on vous a sorti de votre caisson. Le commandement de bord a validé l’attribution d’un matricule temporaire pour les besoins administratifs. Il consulta ses notes. Elias. Code de service EL-7739. C’est ainsi que vous serez référencé jusqu’à ce que votre identité réelle soit reconstituée, si elle l’est jamais.
— Elias… répéta-t-il, goûtant ces syllabes étrangères sur sa langue comme un vin dont il aurait perdu le souvenir du goût.
Il le prononça à voix basse, plusieurs fois, comme pour s’accrocher à cette bouée nominative dans l’océan de son amnésie. Mais le nom ne déclenchait rien en lui : ni chaleur familière, ni gêne, ni reconnaissance. C’était un masque parfaitement neutre, aussi anonyme qu’un numéro de série. Mais c’était mieux que le vide, mieux que cette absence d’identité qui le terrifiait plus que la douleur physique.
— Vous demeurerez ici sous surveillance médicale pendant encore quelques heures, continua le médecin en rangeant sa tablette dans une poche magnétique de sa combinaison. Le temps que nous soyons certains que vos paramètres biologiques se maintiennent dans la zone de sécurité. Ensuite, vous serez transféré dans les quartiers d’équipage standard pour entamer la phase de réintégration sociale. Le commandement du bord vous informera personnellement des détails concernant votre… situation particulière. Il marqua une pause, semblant hésiter pour la première fois. En attendant, mon conseil médical est simple : essayez de dormir. Le sommeil naturel reste le seul remède véritablement efficace pour ce genre de réveil traumatique. Votre cerveau a besoin de temps pour reconstruire ses connexions.
Le médecin pivota sur ses talons avec une précision militaire, ses semelles résonnant sur le métal du sol. Il se dirigea vers la sortie sans attendre de réponse, laissant dans son sillage un parfum complexe mêlant l’ozone des circuits électroniques et cette routine médicale qui avait le goût fade de l’habitude professionnelle.
Elias resta allongé dans le silence relatif de l’infirmerie, seul avec le murmure constant des systèmes de survie et le battement lointain des réacteurs. Ses yeux se fixèrent sur le plafond métallique, suivant machinalement les lignes lumineuses qui couraient entre les plaques d’alliage comme un réseau nerveux artificiel. Il n’avait rien : aucun souvenir personnel, aucune image du passé, aucune voix familière qui résonne dans sa mémoire. Son histoire personnelle était un livre aux pages arrachées, une existence effacée comme un fichier corrompu.
Mais – et c’était là que résidait le paradoxe troublant – il savait certaines choses avec une certitude absolue. Il reconnaissait instinctivement la fonction de chaque voyant sur les panneaux de contrôle. Il comprenait la signification des codes couleur : rouge pour l’alerte, vert pour le fonctionnement normal, orange pour la maintenance. Les vibrations du vaisseau lui parlaient un langage qu’il déchiffrait sans effort : le ronronnement régulier des recyclers d’atmosphère, le battement plus profond des générateurs de gravité artificielle, la pulsation presque imperceptible des moteurs subluminiques en veille. Il connaissait ces sons, ces rythmes, cette symphonie mécanique aussi intimement que les battements de son propre cœur.
Comment pouvait-il avoir perdu son nom, son visage, ses souvenirs les plus intimes, et pourtant naviguer mentalement dans l’architecture complexe d’un croiseur spatial comme s’il y avait vécu toute sa vie ?
Cette dichotomie était peut-être encore plus terrifiante que l’amnésie elle-même. Car elle suggérait que sa mémoire n’était pas simplement endommagée – elle avait été sélectivement altérée. Et cela, songea-t-il en frissonnant sous le drap synthétique, cela n’arrivait pas par accident.
Idée original: David Dräyer. Aide à la rédaction: Chat GPT (structure) et Claude (descriptions)
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